En 2025, la tokenisation immobilière s’affirme comme une réalité juridique incontournable. Les NFT immobiliers, ces certificats numériques attestant de droits réels sur des biens immobiliers, bouleversent les pratiques traditionnelles du recouvrement de créances. Face à un débiteur défaillant détenteur de NFT représentant des actifs immobiliers, les créanciers se heurtent à un vide juridique partiel malgré les avancées législatives de 2023-2024. Cette situation inédite soulève des questions complexes sur l’efficacité des voies d’exécution classiques et nécessite d’explorer les recours spécifiques adaptés à ces nouveaux actifs hybrides, à mi-chemin entre le numérique et l’immobilier.
La qualification juridique des NFT immobiliers en 2025
La nature juridique des NFT immobiliers demeure au cœur des débats doctrinaux. Depuis l’adoption de la loi du 16 février 2023 relative à l’économie numérique, complétée par les décrets d’application de janvier 2024, ces tokens sont reconnus comme des actifs numériques sui generis. Toutefois, lorsqu’ils représentent des droits immobiliers, ils acquièrent une dimension hybride qui complexifie leur traitement juridique.
En effet, le législateur français a finalement tranché en faveur d’une double qualification. D’une part, le NFT est considéré comme un bien meuble incorporel soumis au régime des actifs numériques. D’autre part, les droits qu’il représente conservent leur nature immobilière. Cette dualité crée une situation inédite où le créancier doit naviguer entre deux régimes juridiques distincts.
La jurisprudence récente du Tribunal de Paris (TJ Paris, 3e ch., 12 mars 2024) a confirmé que la tokenisation d’un bien immobilier n’altère pas la nature des droits sous-jacents. Le juge a précisé que « le NFT immobilier constitue un mode de preuve numérique de propriété ou d’autres droits réels, sans modifier la substance juridique de ces derniers ». Cette décision fondatrice permet d’envisager l’application des procédures de saisie immobilière traditionnelles aux droits représentés par les NFT.
Néanmoins, cette qualification hybride soulève des questions pratiques majeures. Comment concilier l’immatérialité du token avec les formalités publicitaires propres aux procédures immobilières? La réponse se trouve dans le décret du 18 novembre 2024 qui a modifié le Code des procédures civiles d’exécution pour intégrer les spécificités des NFT immobiliers. Désormais, toute procédure de saisie doit faire l’objet d’une double publication : l’une au fichier immobilier traditionnel, l’autre sur la blockchain concernée via un mécanisme de smart contracts certifiés.
Conséquences sur les voies d’exécution
Cette dualité juridique offre au créancier une option stratégique : procéder soit à une saisie de l’actif numérique (le NFT lui-même), soit à une saisie immobilière classique ciblant les droits représentés. Le choix dépendra principalement de la valeur respective du token et du bien immobilier sous-jacent, ainsi que de la célérité recherchée dans la procédure de recouvrement.
Les procédures spécifiques de saisie des NFT immobiliers
La saisie d’un NFT immobilier nécessite de combiner les procédures numériques et immobilières. Le décret du 18 novembre 2024 a instauré un processus en trois temps pour assurer l’efficacité du recouvrement forcé.
Premièrement, le créancier doit obtenir un titre exécutoire selon les voies classiques. La nouveauté réside dans l’obligation d’y mentionner explicitement la nature tokenisée du bien visé, en précisant les identifiants blockchain du NFT concerné. L’absence de ces mentions spécifiques peut entraîner la nullité de la procédure, comme l’a récemment jugé la Cour d’appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 2e ch. civ., 14 avril 2025).
Deuxièmement, la signification du commandement de payer se dédouble. Outre la notification physique traditionnelle au débiteur, une notification numérique doit être effectuée via la blockchain, par l’intermédiaire d’un huissier numérique certifié. Cette nouvelle profession, créée par l’ordonnance du 7 juillet 2024, dispose des prérogatives techniques nécessaires pour interagir avec les registres distribués. Le coût de cette double signification reste à la charge du créancier, représentant un surcoût moyen de 450€ selon les premiers retours d’expérience.
Troisièmement, la publication du commandement fait l’objet d’une procédure hybride. Elle doit être réalisée simultanément au service de publicité foncière territorialement compétent et sur la blockchain concernée. Cette double publication garantit l’opposabilité de la saisie tant dans l’univers physique que numérique. L’arrêté ministériel du 3 décembre 2024 a précisé les modalités techniques de cette publication blockchain, qui nécessite l’intervention d’un notaire numérique agréé.
La principale innovation procédurale concerne le gel du token. Dès la publication du commandement, un smart contract de saisie est déployé, rendant le NFT techniquement intransférable pendant toute la durée de la procédure. Ce mécanisme prévient efficacement les tentatives de dissimulation d’actifs ou de transferts frauduleux vers des portefeuilles étrangers, problématique majeure dans l’univers crypto.
- Publication classique au service de publicité foncière
- Publication numérique sur la blockchain via smart contract certifié
- Gel technique du token pendant la durée de la procédure
Les délais procéduraux ont été adaptés pour tenir compte des spécificités techniques. Ainsi, le délai entre le commandement et la vente forcée ne peut être inférieur à quatre mois, contre deux mois pour une saisie immobilière classique, afin de permettre les vérifications techniques nécessaires sur la validité du NFT et sa correspondance avec le bien immobilier réel.
Les obstacles techniques et juridiques à la saisie des NFT
Malgré les avancées législatives, plusieurs obstacles techniques demeurent pour les créanciers souhaitant saisir des NFT immobiliers. Le premier défi concerne l’identification même de ces actifs. Contrairement aux biens immobiliers traditionnels, les NFT peuvent être détenus dans des portefeuilles numériques (wallets) dont l’attribution à une personne physique n’est pas toujours évidente. La loi du 16 février 2023 a bien instauré une obligation d’identification pour les transactions immobilières tokenisées, mais son application reste imparfaite.
Le décret du 5 mars 2024 a tenté de résoudre cette difficulté en créant un registre national des NFT immobiliers (RNNI) géré conjointement par la Caisse des Dépôts et l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information. Toutefois, ce registre ne recense que les tokens émis après son entrée en vigueur, laissant dans l’ombre les NFT antérieurs. Pour ces derniers, le créancier doit recourir à des sociétés d’investigation blockchain dont les honoraires peuvent s’avérer prohibitifs (entre 5 000€ et 15 000€ selon la complexité du dossier).
Le deuxième obstacle majeur réside dans la localisation juridique du NFT. La détermination du tribunal compétent pour connaître des litiges relatifs à ces actifs demeure problématique. L’article L.121-2 du Code des procédures civiles d’exécution modifié dispose désormais que « pour les biens immobiliers tokenisés, le juge de l’exécution territorialement compétent est celui du lieu de situation de l’immeuble, nonobstant la localisation numérique du token ». Cette clarification législative bienvenue se heurte néanmoins à la réalité technique des blockchains transfrontalières.
En effet, lorsque le NFT est émis sur une blockchain étrangère, l’exécution technique des décisions françaises peut s’avérer complexe. La coopération internationale en matière d’exécution sur actifs numériques reste embryonnaire malgré les travaux de la CNUDCI. Le règlement européen du 12 septembre 2024 sur les actifs numériques a harmonisé les procédures au sein de l’Union européenne, mais les difficultés persistent pour les blockchains basées dans des juridictions non coopératives.
Enfin, la question de l’évaluation des NFT immobiliers constitue un défi majeur. Leur valeur fluctuante, parfois déconnectée de celle du bien sous-jacent, complique l’estimation préalable à la vente forcée. La Chambre nationale des commissaires de justice a publié en janvier 2025 un référentiel méthodologique recommandant une double évaluation : celle du bien immobilier selon les méthodes traditionnelles et celle du token lui-même en fonction de sa prime numérique (la valeur ajoutée liée à sa liquidité et aux droits spécifiques qu’il confère).
Ces obstacles ne sont pas insurmontables mais nécessitent une expertise technique pointue et la mobilisation de ressources significatives, ce qui peut défavoriser les petits créanciers face aux grands établissements financiers mieux équipés pour ces nouvelles procédures.
Les stratégies alternatives de recouvrement
Face aux complexités de la saisie directe des NFT immobiliers, les créanciers avisés développent des stratégies alternatives de recouvrement. La première d’entre elles consiste à privilégier les procédures conservatoires numériques, moins contraignantes que les saisies-attributions. L’ordonnance du 7 juillet 2024 a créé une procédure de séquestre numérique permettant, sur simple ordonnance du juge de l’exécution, de confier temporairement la garde du NFT à un tiers de confiance agréé par l’Autorité des Marchés Financiers.
Cette mesure conservatoire présente l’avantage de figer la situation juridique sans les lourdeurs procédurales de la saisie immobilière. Elle permet au créancier de sécuriser l’actif tout en poursuivant des négociations avec le débiteur. Selon les statistiques du Ministère de la Justice, le taux de règlement amiable post-séquestre atteint 68% contre seulement 23% après l’engagement d’une saisie immobilière classique.
Une deuxième stratégie consiste à cibler non pas le NFT lui-même mais les revenus qu’il génère. En effet, de nombreux NFT immobiliers permettent à leurs détenteurs de percevoir des loyers ou des revenus de fractionnement. Le créancier peut alors procéder à une saisie des rémunérations numériques via les plateformes de gestion de ces tokens. La Cour de cassation a confirmé cette possibilité dans son arrêt du 12 juin 2024 (Cass. 2e civ., 12 juin 2024, n°24-15.789), reconnaissant que « les flux financiers générés par un actif numérique peuvent faire l’objet d’une saisie-attribution selon les modalités de droit commun ».
Une troisième voie consiste à négocier un smart contract de garantie. Cette innovation juridico-technique permet d’automatiser l’exécution d’une sûreté sur le NFT en cas de défaillance du débiteur. Concrètement, le créancier et le débiteur conviennent contractuellement que le non-paiement déclenchera automatiquement un transfert du token vers un portefeuille de séquestre ou directement vers celui du créancier. Cette solution présente l’avantage de la rapidité d’exécution mais soulève des questions de conformité avec l’ordre public procédural français, notamment le principe du contradictoire.
Enfin, certains créanciers expérimentent la voie de la compensation crypto-fiat. Cette stratégie consiste à acquérir sur le marché secondaire des tokens de la même blockchain que celle hébergeant le NFT immobilier du débiteur, puis à invoquer le mécanisme de la compensation légale pour éteindre partiellement la dette. Cette approche innovante a été validée par le Tribunal de commerce de Paris dans un jugement du 15 mars 2025 (T. com. Paris, 15 mars 2025, n°2025/07841), qui a reconnu la possibilité d’une compensation entre une créance traditionnelle et une dette tokenisée, dès lors que les conditions de liquidité et d’exigibilité sont réunies.
Ces stratégies alternatives témoignent de l’adaptation progressive du droit des voies d’exécution aux spécificités des actifs numériques. Elles offrent aux créanciers une palette d’options graduées leur permettant d’optimiser leurs chances de recouvrement en fonction du profil du débiteur et de la nature précise du NFT concerné.
La révolution des garanties adaptées à l’univers tokenisé
L’adage « mieux vaut prévenir que guérir » trouve une résonance particulière dans l’univers des NFT immobiliers. Face aux incertitudes entourant les procédures de saisie, les créanciers prudents développent désormais des mécanismes préventifs de garantie spécifiquement adaptés à ces nouveaux actifs. L’anticipation devient la clé d’un recouvrement efficace.
La première innovation majeure concerne l’hypothèque numérique (ou crypto-hypothèque) introduite par l’ordonnance du 7 juillet 2024. Ce dispositif permet d’inscrire directement sur la blockchain une garantie réelle portant sur le NFT immobilier. Son originalité réside dans son caractère auto-exécutoire : en cas de défaillance du débiteur, le smart contract associé à l’hypothèque déclenche automatiquement une procédure de mise aux enchères du token sur une plateforme agréée, sans nécessiter l’intervention judiciaire traditionnelle.
Cette forme de garantie présente l’avantage considérable de la rapidité d’exécution – le délai moyen de réalisation étant de 21 jours contre 18 à 24 mois pour une saisie immobilière classique. Toutefois, elle soulève des questions de protection du débiteur. Pour répondre à ces préoccupations, le législateur a imposé des garde-fous : notification préalable obligatoire, délai de grâce incompressible de 30 jours, et possibilité d’un recours suspensif devant le juge de l’exécution.
Une deuxième innovation concerne le séquestre conditionnel des NFT. Cette technique consiste à placer préventivement le token dans un portefeuille multisignature nécessitant l’accord du créancier pour toute transaction. Ce mécanisme, moins radical que l’hypothèque numérique, permet de préserver les droits du débiteur tout en garantissant au créancier que l’actif ne sera pas dissipé. La jurisprudence récente (TJ Paris, ord. réf., 8 février 2025) a validé ce dispositif en le qualifiant de « gage sans dépossession adapté à l’environnement numérique ».
Particulièrement innovante est l’émergence des NFT à double couche (dual-layer NFTs). Ces tokens de nouvelle génération incorporent nativement un mécanisme de protection des créanciers. Leur architecture technique distingue les droits de propriété (couche 1) des droits d’usage et de jouissance (couche 2). En cas de défaillance du débiteur, seuls les droits de la couche 2 sont initialement affectés, permettant une gradation dans l’exécution de la garantie. Ce système préserve la valeur fondamentale de l’actif tout en exerçant une pression efficace sur le débiteur.
Enfin, les établissements financiers développent des produits d’assurance spécifiquement conçus pour couvrir le risque de non-recouvrement sur NFT immobiliers. Ces polices, encore onéreuses (prime moyenne de 3% à 5% du montant garanti), offrent une sécurité supplémentaire aux créanciers inquiets des incertitudes juridiques entourant ces nouveaux actifs. Certaines assurances proposent même un service de recovery, prenant en charge l’intégralité des démarches de recouvrement en cas de défaillance du débiteur.
L’ensemble de ces innovations dessine les contours d’un nouveau paradigme préventif dans le droit des sûretés. Le créancier avisé n’attend plus la défaillance pour s’interroger sur les voies d’exécution disponibles, mais structure sa relation avec le débiteur autour de garanties adaptées à la nature spécifique des actifs tokenisés. Cette approche transforme profondément la gestion du risque crédit dans l’univers des NFT immobiliers.
